Gravé dans le marbre

Il l’avait choisie imposante, sa tombe. Avec quelques fioritures, juste ce qu’il faut pour faire spirituel, pas trop pour ne pas faire artiste. Il avait surtout voulu son nom, en grand, juste en dessus de son titre, recouvrant un sobre R.I.P..
Il avait été l’un des premiers dans le nouveau cimetière. Il avait pu accueillir tous les autres, un peu comme de son vivant. L’apanage d’habiter un port dans un pays étranger. Ce qu’il appréciait particulièrement c’était la surprise lorsque les nouveaux arrivants se rendaient compte que ce n’était pas fini. Alors, comme jadis, il usait de son entregent pour calmer les angoisses et offrir le tour du propriétaire.

– « Ici Madame unetelle, elle pleure encore d’être partie trop tôt même si cela fait un siècle. »
– « Ici Monsieur untel, j’ai entendu dire qu’il était de mauvaise humeur de son vivant, vous verrez vite que la mort ne change pas les personnes. »
– « Ici la vue sur l’océan, personnellement sans les embruns qui vous caressent la peau je trouve cela assez déstabilisant. »

Au début il avait retrouvé d’anciennes connaissances, celles qu’il se réjouissait de revoir et celles dont il pensait être enfin débarrassé. Et puis petit à petit, des inconnus, des enfants qu’il avait croisés dans la rue, puis leurs enfants, et les enfants de leurs enfants.
Il avait été fasciné de découvrir que lorsque l’on passait de l’autre côté, les choses s’inversaient. La nuit était chaude et rassurante, les repas ne rythmaient plus les journées et les dimanches étaient des jours animés. Dieu qu’il aimait les dimanches ! Voir tous ces gens apprêtés qui venaient les voir; LE voir. Il attendait à côté de sa tombe, fier de sa taille, de son style. Il aimait voir son nom se dessiner sur les lèvres des passants, suivi par son titre. Peut-être était-il passé de l’autre côté du rideau mais son nom lui restait, gravé en grand dans la pierre, à jamais. Bien sûr, personne ne pouvait le voir ou l’entendre, mais d’observer ainsi des inconnus articuler son nom lui rappelait la douce caresse du soleil sur sa peau. Cette sensation de plénitude toute personnelle, qui s’appréciait mieux les yeux fermés.
Le revers de la médaille, lorsque vos proches vous rejoignent, c’est que bientôt plus personne ne vient s’occuper de votre dernière demeure, plus de fleurs, plus d’attentions, plus même l’épisodique coup de balais et de rafraichissement. Cela avait été dur, au début, mais dans la mort comme dans la vie, tout devient un jour tolérable. Mais depuis quelque temps (un mois, un an, un siècle ?), un autre phénomène l’inquiétait beaucoup plus. Comme dans toutes les séparations, cela avait commencé par un rapprochement. Les passants devaient venir de plus en plus proches pour déchiffrer le nom et le titre. L’articulation devint hésitante puis, à la suite d’un orage, le titre disparut, comme emporté par une colère divine toute droite venue de l’océan.

Puis les gens avaient arrêté de venir.

Pendant ce temps son nom fut petit à petit poncé par l’eau, le vent, le soleil, les éléments s’alliant pour se jouer de la pierre, comme des enfants se testant à un jeu de patience absurdement long.

Il attendait toujours à côté de sa tombe, mais personne ne venait. Il voulut en parler à son voisin, mais celui-ci était parti. Depuis quand ? Un jour ? Un an ? Un siècle ? Il fit le tour du propriétaire, il était seul. Plus de pleureuse, plus de grincheux, plus de famille, plus d’ennemis, seul. Ainsi soit-il, il avait été le premier, il serait le dernier ! Il avait toujours été un pionnier, et avait souvent affronté la solitude, c’est d’ailleurs ainsi qu’il avait été nommé … qu’il avait occupé le poste de … qu’on le connaissait pour son rôle de … rien, le vide. Malgré l’absence évidente de son corps et l’absurdité d’une telle idée, il sentit une sueur froide le parcourir. Il se retourna vers sa stèle et tenta de déchiffrer son titre dans les ruines: rien, le vide.
Alors il se raccrocha à son nom, il se le répéta sans cesse, ne pensant qu’à lui, n’étant habité que par lui. Il le murmurait, le scandait, le chantait, l’épelait. Il avait perdu sa fonction, il tiendrait son nom, tel un soldat défendant le dernier pont contre un envahisseur féroce.
Un jour pourtant, alors qu’il égrainait les lettres comme les perles d’un chapelet, quelqu’un entra dans le cimetière. Et toute son attention lui fut volée. Il avait oublié la place qu’il occupait dans le monde depuis longtemps maintenant (un jour ? un an ? un siècle ?) mais elle, il s’en souvenait. C’était impossible elle ne pouvait pas être là, elle aussi devait être de l’autre côté. Et pourtant si, c’était elle. Elle semblait être revenue. Alors, son chapelet se brisa et les perles rebondirent sur la pierre de sa tombe.
Il voulut fermer les yeux, se souvenir à nouveau, mais c’était trop tard, son nom aussi était parti. Il aurait aimé avoir un corps, juste cette fois, pour pouvoir pleurer.
Il se retourna, regarda la tombe, la pierre rongée par le temps, il n’avait plus rien, plus de titre, plus de nom.

Alors vint la lumière, beaucoup de lumière, seulement la lumière.

Et la surprise.

tchobonne Written by:

2 Comments

  1. Mel
    January 23, 2020
    Reply

    Bien bien bien…..
    là, entre mes yeux embués par la grâce de ce texte et mon cœur serré par la délicatesse du propos, je vacille.
    Merci
    Vite un éditeur !
    Dieu que vous êtes beaux !
    Et comme je vous aime !

  2. Alejandro Garcia
    April 3, 2020
    Reply

    Hola viajeros,
    Gracias por esas fotos y por esos textos. Me hacer salir de este mundo de cuatro paredes y visualizar una vida mas humana. De verdad es hermoso lo que hacen. Muchas gracias, les mando un abrazo fuerte para los dos lleno de colores.

    tchobonne.

    à tantôt!!

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